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21 février 2008

Les barreaux aux fenêtres

Je suis dans mon cerveau. Il est confortable et douillet. Sur le canapé, il y a des coussins de couleur. Un joli tapis couvre le sol. Il est bien meublé, des tiroirs partout, et même un ordinateur.

Mais il y a des barreaux aux fenêtres.

Il est chaleureux. J’y accueille les idées nouvelles que je range dans les tiroirs. Certains sont un peu rouillés. Je ne sais plus trop ce qu’il s’y trouve. Ils sont là, cependant, pleins de vieux souvenirs.

Mais il y a des barreaux aux fenêtres.

Entourée de mes objets familiers, je m’y sens en sécurité. Les coussins de mes habitudes sont larges, chauds et moelleux.

Mais il y a des barreaux aux fenêtres.

 Dans un coin, une petite porte donne sur je ne sais quoi. Peut-être la pousserais-je un jour, car

Il y a des barreaux aux fenêtres.

Et puis tiens, voilà ! Je pousse doucement la petite porte qui grince légèrement. Je regarde derrière moi mon univers douillet, sécurisant. Puis devant. Une brume bleutée occupe le volume. Je ne vois pas le plafond. J’avance à petits pas. La porte derrière moi se referme. Je regarde en arrière, puis à nouveau devant moi. La brume un peu s’estompe, et je vois

des barreaux aux fenêtres.

Je retourne en arrière et ouvre la petite porte. Un grand vent de brume pénètre mon cerveau. Je le croyais seul et m’en découvre deux. Je suis bien dans mon petit cerveau. Je respire un grand coup. Il est confortable et douillet. Il y a maintenant une brume légère, et toujours

des barreaux aux fenêtres.

Alors je pousse à nouveau la petite porte. Que faire de cet espace ? Les barreaux aux fenêtres me sécurisent. Pourtant, il souffle comme un petit vent de changement. Je ne peux rien apporter d’à-côté, la porte est trop étroite.

Et il y a des barreaux aux fenêtres.

Puis, un jour, je m’approche des barreaux aux fenêtres. Dans un geste insensé, guidé par je ne sais quoi, je me glisse avec peine entre deux barreaux. Je me cramponne à l’un d’eux pour ne pas tomber. Mon cœur bat très fort. Tiens ! J’ai un cœur ! A quelques centimètres sous mes pieds, l’herbe est fraîche, verte et bien grasse. J’avance doucement le pied et, sans lâcher mon barreau, je touche le sol. L’autre pied rejoint le premier. Devant moi, un grand pré aux fleurs multicolores s’étale au soleil. Soleil ? oh, non ! Il n’y a pas de soleil. Pourtant, il y a beaucoup de lumière. J’irais bien voir plus loin mais…

il y a des barreaux aux fenêtres.

Il s’est fallu longtemps avant que ma main quitte le barreau de la fenêtre. Quelques pas dans le pré… Il fait bon. C’est si beau. Je regarde derrière moi et vois

les barreaux des fenêtres.

J’avance doucement, jusqu’à un arbre au tronc puissant. Je monte dans ses branches et me blottis dans son cœur. Sa ramure me protège comme autant

de barreaux aux fenêtres.

Je prends goût à l’espace, et redescends bientôt. Traversant le pré, je rejoins la forêt. D’un coup d’œil en arrière, j’aperçois, à la droite du bel arbre,

les barreaux aux fenêtres.

La forêt est vivante. Mille bruits m’interpellent. Je frissonne, et pourtant, les arbres me sont

des barreaux aux fenêtres.

La forêt est douillette, les arbres confortables, la nourriture abonde : baies et plantes sauvages changent mes habitudes. Je peux encore retrouver mes coussins moelleux et mon ordinateur.

Mais il y a des barreaux aux fenêtres.

J’arrive maintenant à la lisière de la forêt. Ma main cramponne une branche d’arbre comme le barreau de la fenêtre, tandis que je regarde l’étendue de sable devant moi. Je cligne des yeux tant il y a de lumière. Je n’oserais jamais ainsi m’exposer… Devant quoi ? devant qui ? Comme le sable doit être chaud, l’étendue infinie,

sans barreau aux fenêtres.

Oh oui ! Comme le sable est chaud et douillet ! Et puis, je vois toujours les barreaux de la forêt. J’avance lentement, puis plus vite, et me mets à danser. L’ivresse me prend, et je tourne et je tourne encore, virevolte comme le vent. Essoufflée, je m’arrête. Il n’y a plus

de barreaux aux fenêtres, il n’y a plus les barreaux de la forêt. Il n’y a plus de forêt. Folle que je suis ! Où est-il mon petit cerveau confortable et douillet 

Avec ses barreaux aux fenêtres ?

Ici, plus rien. Le sable chaud, l’étendue infinie. Le ciel s’obscurcit et je me sens bien seule. Je marche dans la nuit, sans étoile, sans lune, et je tombe dans un puits. Et là, assise au fond du puits, avec les pierres comme barreaux aux fenêtres, je pleure et pleure encore. Fini le cerveau confortable et ses coussins colorés, finie la brume bleutée et

ses barreaux aux fenêtres,

finie la clairière et son arbre puissant, finie la forêt et ses arbres barreaux. A moi l’espace infini ! A moi l’espace infini ? Eh ! Mais oui ! Je remonte à l’air libre, et sans même regarder en arrière les barreaux de pierre du puits, je poursuis ma route. Seule, sans repère, et riche d’un espace infini. Là, je ne fais plus l’espace, je ne l’occupe plus. L’espace me fait, l’espace m’occupe.

Sans barreaux aux fenêtres.

Il n’y a plus de barreaux, il n’y a plus de fenêtres. Il n’y a plus de moi, il y a juste l’espace. Maintenant, devant moi, s’ouvre une oasis. Rêve ou réalité ? Les rêves sont encore

des barreaux aux fenêtres.

J’approche des palmiers. Voilà de beaux barreaux. Un jeune palmier sur moi se penche et me souffle à l’oreille comme un vent de fraîcheur : « racines, racines… ». L’eau limpide de la rivière murmure à mon oreille : « J’arroserai toujours ! Viens boire à ma source ! ». Je ne veux, répondis-je, m’enraciner, et vous en remercie. Car je ne veux plus jamais remettre des barreaux à mes fenêtres. Je n’ai plus ni maison, ni fenêtre, et suis libre comme le vent.

« Traversant le désert, murmura la rivière, tu t’es fondue dans l’espace de sable et d’air. Ta fuite ici s’achève. Il est temps maintenant de lâcher ton cerveau inconscient. Construis ta maison par les cinq éléments. La terre accueille tes racines que j’arrose, avec amour et compassion. Bien ancrée dans le sol, la plante s’épanouit et grandit dans la lumière et le vent de la liberté. L’éther te transmet l’harmonie de l’univers, la paix et l’Amour du Tout-Puissant. Le veux-tu ?

Oui, je le veux ! répondis-je. Aussitôt des racines sortent de mes pieds et s’enfoncent dans le sol, loin, très loin jusqu’au centre de la terre. Me croyant à nouveau entourée de barreaux, je n’ose plus bouger. Alors le vent me pousse et me bouscule. Je lève un pied pour garder mon équilibre… et me mets à danser. Plus légère que jamais, je deviens l’Amour, chaud, douillet, humide et confortable. « Va ! me dit le vent. Va ! Poursuis ta route maintenant. » Alors sans sandales ni besace, je retrouve le désert. J’emporte avec moi mes racines et les cinq éléments.

Vivante, je me sens merveilleusement vivante. A nouveau dans l’espace infini, j’aperçois au loin un cavalier ailé. Il ne s’approche pas. Toujours là cependant, il suit le même chemin. Un jour, je lui fait signe. Et je vois arriver un bel ange blanc au sourire divin. « Je suis ton compagnon et serviteur, me dit-il. Si tu le désires, nous pouvons cheminer ensemble, en parlant, en chantant, ou en silence, comme il te plaira. « Fidèle ami, lui répondis-je, mon cœur te reconnaît. Je me croyais si seule, mes barreaux aux fenêtres, dans mon cadre douillet et confortable, et mon cœur, maintenant, m’avoue ta présence silencieuse, amoureuse et discrète. »

« Toujours à tes côtés, répondit l’ange, je te suivais pas à pas, attendant patiemment l’ouverture de ton cœur. Le jour fut béni où tu as quitté ton cerveau et ses barreaux aux fenêtres, et celui aussi où tu es descendu jusqu’au puits de ton cœur. Le temps viendra bientôt où nous pourrons, si tel est ton désir, nous unir à nouveau. »

Cheminant côté à côté, nous voilà arrivant à une nouvelle oasis. De belles musiques se font entendre, flûtes et tambours chantent joyeusement. A peine arrivée, deux jeunes filles m’emmènent en riant. Elles me vêtent des plus beaux habits et de somptueux bijoux, et me mènent à la noce. A la noce de qui ? demandai-je ravie. Et dans un rire divin, elles m’entraînent et me posent à côté de mon bel ange blanc. Nous nous regardons. « Le veux-tu ? », me demande-t-il ? « Je le veux ! ». Nos deux mains se rejoignent et nous fusionnons. Des cris de joie s’élèvent, et des chants d’allégresse. Puis le vent délicat murmure à mon oreille : « Ne t’arrête pas, surtout. Va vers la Montagne sacrée. »

Alors nous reprenons la route, le chemin invisible du désert silencieux. Mes pieds caressent la terre, le vent léger chante dans mes cheveux. La montagne à l’horizon se dessine, majestueuse. Ne t’arrête pas, me chuchote le vent. Ne t’arrête pas. Après quelques efforts, j’arrive au bas des marches. Mon ange à l’intérieur me demande : « Le veux-tu ? » Je lève alors les yeux et, me rappelant les paroles du vent, je réponds fermement : « Je le veux ! ».

Je monte la première marche et comprends : il n’y a jamais eu

de barreaux aux fenêtres.

Je veux regarder une dernière fois en arrière et j’entends : Non ! Un « Non » d’amour et d’espoir qui me fit lâcher mes dernières attaches,

les barreaux cachés de mes dernières fenêtres.

Plus ancrée que jamais, légère comme la plume au vent, je gravis aisément les deux marches restantes et la pente douce de la Montagne sacrée. Je suis rempli de joie et d’amour et de paix. Mille rayons d’or fusent de mes mains. Une musique céleste m’accueille au sommet, des anges blancs m’entourent, et le vent à mes oreilles murmure : « Ne crains pas maintenant ce que je vais te dire : il te faut retourner sur la terre. N’oublie cependant jamais cela : il n’y a jamais eu

de barreaux aux fenêtres.

Garde ton cœur ouvert. L’Univers t’appartient désormais. »

Alors en soupirant je regarde à mes pieds et ramasse un objet :

un petit barreau d’or dans un cadre doré !

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