Si l’on exclut la période du
romantisme, il y a déjà bien longtemps que les parents, puis la société dans
son ensemble, exigent des mâles qu’ils soient des hommes, et des femelles
qu’elles soient des femmes. Les critères sociaux sont étranges et
fluctuants : un homme ne doit pas pleurer, peut avoir plusieurs femmes, et
doit rapporter le fruit de son travail au foyer. La femme est généralement
pleurnicharde, elle doit faire et élever les enfants que lui donnent son époux,
et attendre ce dernier en se faisant belle, dans le but de le contenter. Même à
notre époque, cette description n’a rien de caricaturale.
Pourtant,
il est possible d’observer, depuis quelques années, une lente modification de
cette réalité. Faisant fi de la pression sociale, les femmes ont adopté le
pantalon et raccourci leurs cheveux, et les hommes cherchent davantage à
soigner leur esthétique, jusqu'à fréquenter les salons de beauté. Peut-on dire
pour autant que les femmes ne sont plus des femmes et que les hommes deviennent
féminins ? Quels sont donc les critères de la féminité ?
I. LES CRITERES SOCIAUX DE LA
FEMINITE
Mis
à part quelques systèmes sociaux basés sur le matriarcat, l’homme a toujours
imposé sa loi et ses exigences à la moitié féminine de la population. Les exemples
les plus marquants sont nombreux dans les pays de fanatisme islamique. En
Occident cependant, dans nos pays dits de liberté, la pression sociale n’en
continue pas moins de faire des ravages. Mais les femmes ont su parfois
amplifier ces exigences, et les utiliser à leur profit.
1) Sois belle et tais-toi
Un
simple regard sur les production artistiques (affiches de publicité, de cinéma,
photographies, peinture), montre à travers les siècles l’extrême diversité des
critères de la beauté féminine. Des rondeurs cellulitiques, symboles de
fertilité, à la maigreur androgyne, des corsets étouffants à l’épanouissement
des formes, il suffirait de choisir son siècle, voir son ½ siècle, en fonction
de ses goûts et de ses envies. A l’époque actuelle de la minceur et du
gigantisme, il n’est pas demandé davantage aux femmes que de suivre la mode et
de se couler dans le moule changeant de l’esthétisme, prometteur, semble-t-il,
du plus grand des bonheurs.
La
femme se transforme ainsi en poupée, coincée dans des vêtements qui entravent
la circulation et les mouvements, tartinée de crème et de fonds de teint,
cachant soigneusement les moindres aspérités de la peau, les premiers signes de
l’âge, pour paraître toujours plus jeune, toujours plus belle.
Selon
un piège parfaitement au point, et ancré dans l’inconscient collectif, chaque
mère ne peut qu’apprendre à sa fille à se soumettre à cette loi sociale de
l’apparence. Elle voudrait pourtant bien que celle-ci ne grandisse pas trop
vite. Mais il arrive aussi souvent que la fille prenne les devants, capte le
message de la beauté artificielle, du moule social, et de l’obligation de
plaire afin de ne pas rester célibataire, tare de la société. Elle est alors
vite emportée par la vague déferlante du regarde des autres.
2) Les outils de séduction
Pour
obéir à ce mouvement, elle va devoir comprendre comment utiliser les outils de
séduction qu’il lui faudra mettre en place, les rajoutant à ses outils
précédents, ceux issus de son enfance. L’objectif n’est plus maintenant de
plaire à papa et à maman, mais de plaire à l’homme.
A
grand renfort de publicité, l’industrie cosmétologique va se charger de faire
l’éducation de la jeune fille, complétant et amplifiant parfois le message
généalogique. Un gros budget est à prévoir pour s’enduire de crèmes anti-
quelque chose, s’asperger de déodorant pour éviter que la nature fasse son
travail, se peindre le visage pour paraître ce que l’on n’est pas - et surtout
ne pas paraître ce que l’on est - , se teindre les cheveux pour corriger encore
ce que la nature fait décidément si mal.
Il
semble donc indispensable de donner à son corps de nombreux produits chimiques,
rassuré à l’idée que ceux-ci aient été « testés dermatologiquement par un
laboratoire qualifié », selon une formule bien connue. Le derme en
question n’est autre que la muqueuse anale ou les yeux des chats, appelés
pudiquement « animaux de laboratoire ». Ces laboratoires sont
subventionnés par les gouvernements, afin que les femmes puissent continuer à
paraître, les dermatologues, gynécologues et cancérologues à travailler.
Mais
à part les chats qui, eux, ne le sont pas, les femmes sont bien souvent des
victimes consentantes. Cependant, elles peuvent aussi devenir des bourreaux des
cœurs. Les grandes séductrices ne sont pas rares, qui savent parfaitement
utiliser leurs outils de séduction, véritables pièges à hommes. Le jeu se
retourne contre ceux qui les voulaient belles et silencieuses. Elles ne disent
pas un mot, sauf sur une scène quelconque, et ils tombent comme des mouches.
Il arrive
aussi qu’elles soient belles et cultivées. Elles sont alors réservées à la
société mondaine dans laquelle elles apprennent à se mouvoir avec finesse et
subtilité, alliant beauté, adresse, et intelligence féminine. Sont-elles
heureuses pour autant ?
La
recherche de la beauté est bien une caractéristique de la féminité. Mais, nous
venons de le voir, encore faut-il s’entendre sur la définition de ce terme. Il
ne peut s’agir d’une beauté artificielle, d’un esthétisme aux variations
saisonnières. Il existe immanquablement des caractères universels et beaucoup
plus profonds de la féminité qu’il nous faut étudier maintenant, à partir de
deux grandes idéologies.
II. LES CARACTERISTIQUES DU YIN
Doctrines
ou religions, orientales ou occidentales, permettent sans aucun doute une
approche de la féminité et de sa réalité profonde, symbolique. L’esthétisme,
illusoire et éphémère, est alors ramené à sa juste place de manifestation de la
beauté intérieure.
1) A travers le TAO
Le
Taï Ki est le cercle de l’Unité et figure le Tao, la Voie. Le Yin et le Yang
s’y confondent et s’engendrent mutuellement dans un mouvement circulaire
perpétuel.
Transposé
à l’être humain, le Yang est l’aspect paternel, la méthode, la justice, la
sévérité . Il est mouvement vers
l’extérieur.
Le
Yin est l’aspect maternel, l’indulgence, l’intelligence du cœur, la passivité,
la douceur, la gentillesse. Il est intériorité - mouvement vers l’intérieur -,
et concentration.
L’alternance
du Yin et du Yang régit tous les changements dans le monde manifesté. Tous les
rythmes cosmiques, humains, physiques et psychologiques, régissent la vie de
l’homme. En conséquence, chaque être humain passe cycliquement sous l’influence
du Yin et sous celle du Yang, selon le rythme des saisons, celui des jours, de la
lune et du soleil, alternant des périodes d’intériorisation et d’expansion, de
tristesse et de joie, de quiétude et d’excitation, de repos et de travail...
Mais
plus encore que l’alternance, chacun de nous contient, comme le cercle de
l’Unité , le Yin et le Yang. Il serait difficile de concevoir la sévérité
sans l’indulgence, la passivité sans le mouvement, une extériorisation
permanente sans un temps de ressourcement. Si le rythme est nécessaire, chaque
principe modère son opposé dans une danse parfaite, consacrant à la fois
l’union et la distinction. Il y a donc équilibre dans le rapport idéal des deux
principes.
Mais
cet idéal est rarement atteint dans un individu. Nos sociétés admettent qu’un
homme soit belliqueux et qu’une femme pleure, confondant le rapport Yin/Yang,
et celui de bourreau/victime. Pour ne pas pleurer, le jeune garçon doit
renfermer des émotions de tristesse et de peur au plus profond de son
inconscient. Une jeune fille apprend à contraindre son corps par des attitudes
peu naturelles et bannies des kinésithérapeutes (port des talons hauts, jambes
croisées..), enfermant sa spontanéité et ses émotions de colère, d’agressivité
ou de rancune aussi profondément que possible.
Les textes hébraïques nous donnent un autre
éclairage pour permettre d’approcher
davantage la véritable nature féminine.
2) A travers la Tradition (A. de Souzenelles)
Adam,
androgyne, contient en lui les principes mâle et femelle. S’il a conscience du
premier, qui est lumière, partie accomplie de son être, il ne décèle pas
l’autre côté (et non l’autre côte), sa zone d’ombre, riche d’un énorme
potentiel. Ce « non encore accompli » demande à être découvert et
apprivoisé. Ce sont ses animaux intérieurs qu’il lui faut nommer et retourner,
son inconscient à explorer, les ténèbres de son être à sonder. Cette zone
obscure est sa partie féminine . Mais il choisit de ne pas faire le travail, il
ne reconnaît pas son aspect féminin, et préfère manger la pomme de l’Arbre de
la Connaissance. Il se croit alors totalement accompli. Il se confond
maintenant avec ses animaux intérieurs et hurle avec eux son désespoir et son
abandon.
Il
ne peut plus unir ses côtés mâle et femelle dans des Epousailles divines, ni
faire croître le Germe du Nom divin en gestation dans les profondeurs de son
être, car il n’a pas fait œuvre mâle en travaillant sa terre intérieure, sa
partie féminine. Il se démet de sa vocation de maternité pour en conférer
l’opération extérieure à Eve. La dualité en tant qu’opposition est née et, avec
elle, la recherche permanente de l’autre moitié à l’extérieur de son être.
La
Adamah est donc devenue Lilith, furieuse de n’avoir pas été reconnue, puis Eve,
la femme biologique, qui reste néanmoins la femme lunaire, mystérieuse, aux
pouvoirs obscurs. La nuit, l’obscurité et les forces de l’ombre ont toujours
fascinées la race humaine, et les hommes plus encore qui continuent jusqu'à
aujourd’hui de rejeter leur part féminine.
Peu
à peu, pourtant, la pression lente et patiente des femmes leur ouvre les portes
de leur inconscient. Elles sont plus aptes qu’eux à faire le travail de cette
recherche de la Source originelle car elles se sont peut-être moins éloignées
de leur intuition et de leur intériorité. En chacun de nous, hommes et femmes,
subsistent la tendresse, la gentillesse, la douceur, la paix et le repos, tous
ces animaux intérieurs qui souffrent de n’être pas reconnus et se transforment
en brutalité, rigidité, stress, maladies de l’âme et du corps. L’intelligence
du cœur, de notre cœur, ne demande qu’à s’ouvrir, le féminin en nous ne demande
qu’à s’exprimer. Un créateur de mode a perçu cette réalité et tenté de
féminiser l’homme. Une majorité de femmes souhaitent de leur partenaire
davantage de tendresse, de gentillesse, de qualités féminines. Est-ce que
l’habit fera le moine, ou bien n’est-ce là encore que façade ?
Accoucher
du féminin consiste donc à explorer les moindres recoins de notre
inconscient , à nettoyer toutes les zones d’ombre, à les accomplir pour y
faire pénétrer la lumière. A ce moment-là pourra se faire le mariage intérieur
entre les deux pôles, le parfait équilibre entre le Yin et le Yang, l’Union
sacrée des opposés. Il est possible que cet équilibre nous fasse retourner à
l’androgynie originelle, celle de l’âme, tout en s’exprimant dans le monde
manifesté selon des spécificités propres à chacun, en dehors de tout critère
social.